La pollution au sommet
Pollution plastique
17 juillet 2023
Point culminant du monde, dans l'Himalaya, à la frontière du Népal et de la Chine (Tibet), le mont Everest culmine à 8 848 m. Pourtant, il n’est pas exempt de pollution plastique…entre autres. Un alpiniste Français et son équipe sont allés le dépolluer, ainsi qu’un autre sommet, au printemps dernier. De la fosse des Mariannes (11 000 m de profondeur) à l’Himalaya, à terre comme en mer, plus aucun écosystème n’est épargné. Nous sommes allés le vérifier.
Luc Boisnard, 53 ans, est le fondateur de Ouest Acro. Son entreprise est spécialisée dans les travaux sur cordes et en hauteur : descente en rappel sur des monuments, bâtiments, barrages, usines et autres centrales nucléaires. Lui et ses équipes interviennent aussi sur des falaises en montagne pour prévenir les éboulements rocheux par exemple. Ou en mer.
« Même si gamin j’ai toujours ramassé les déchets que je trouvais, mon histoire « professionnelle » avec la dépollution date de 1999 au moment du naufrage de l’Erika* : pendant 2 ans, on a dépollué les falaises inaccessibles sur tout le littoral breton : Groix, Belle-Île, Saint Nazaire, Pornic… cela reste le plus gros chantier mondial de dépollution maritime sur cordes. On descendait le long des falaises pour les nettoyer au Karcher, en bas on avait des systèmes absorbants, on récupérait les polluants, tout ça était remonté par des treuils puis évacué par hélicoptère. 50 alpinistes industriels par jour étaient répartis sur les falaises des différents sites. Et puis on a recommencé après avec le Prestige**… », explique l’alpiniste qui a fait de sa passion son métier.
En 2010, la crise de la quarantaine se profilant (sic), il décide alors d’aller « faire l’Everest ». « Je savais que c’était très pollué, j’avais vu quelques images mais je ne savais pas à quoi m’en tenir. Donc plutôt que de tenter l’Everest en expédition sèche en payant 25 000 dollars, je décide d’organiser une expédition de dépollution. »
Ayant réussi à convaincre quelques mécènes privés de le suivre, il arrive sur le toit du monde et en rapporte 1 tonne de déchets. « Mais on aurait pu en redescendre 10 ou 15 tonnes sans aucun problème, c’était une vraie catastrophe. », témoigne-t-il.
L’alpiniste organise ensuite pendant 4-5 ans des opérations régulières de dépollution des fossés en Mayenne, où il vit, avec des amis cyclistes et randonneurs. Collectant la première année 450 kg, la deuxième 800 kg, la dernière 1,4 tonne.
Fin 2019, à l’approche de la crise des 50 ans (re-sic !) il crée le concept d’« Himalayan Cleanup ». Son objectif : dépolluer un sommet tous les deux ans. Il devait partir en 2020 sur le Makalu, le 5e plus haut sommet de la planète, mais le Covid passe par là. Tout est annulé. Alors en 2023, ayant pris deux années de retard, il décide de mener deux opérations de dépollution en parallèle.
Fin mars il lance une équipe sur les Annapurna***, lui se lance à l’assaut du Makalu.
« Sur les Annapurna, 15 personnes dépolluent pendant 1 mois ; sur le Makalu (8 485 m) on était 17 car la logistique était beaucoup plus lourde : il nous a fallu 1,5 tonne de matériel pour deux mois : tentes, réchauds, matelas, nourriture…». Pas moins de 50 personnes furent nécessaires pour aller là-haut.
Gravir l’Everest…un non-sens écologique
« Aujourd’hui, ça devient complètement délirant : des gens paient jusqu’à 200 000 dollars pour « faire l’Everest », et au camp de base cette année, il y avait un jacuzzi et une boîte de nuit… c’était n’importe quoi ! Ainsi que la 4G évidemment, pour les selfies. Et 2 500 personnes en moyenne. Cette année il y a eu 500 permis à 12 000 dollars délivrés pour le gravir. C’est un énorme business. Mais là-haut, c’est le métro à l’heure de pointe ! Et à force de faire la queue pour atteindre le sommet, certains ont gelé sur place car il faisait -45°C : ils sont tombés et il y a eu 12 morts cette année. », déplore Luc.
Malgré cette surfréquentation, il est difficile d’imaginer que ce sommet soit bel et bien devenu la plus haute décharge à ciel ouvert du monde. Et pourtant ! Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les grimpeurs et autres amateurs de selfies extrêmes ont une conscience environnementale inversement proportionnelle aux couches de vêtements qui les protègent du grand froid et ne s’encombrent pas de kilos supplémentaires lorsqu’il s’agit d’enjamber des crevasses ou de redescendre les pentes. Alors ils laissent derrière eux bouteilles d’oxygène vides, tentes, conserves, détritus divers…
« La cause de cette pollution est profonde et lointaine », explique notre fringant cinquantenaire. La conquête de l’Everest a commencé il y a un siècle environ. « Jusque dans les années 2000, la coutume était de laisser son matériel en altitude : on se départissait de son matériel lourd dans la montagne pour redescendre plus vite. C’était la constante car on pensait que la nature allait faire son « natural cleaning », comme en mer : à force de cogner contre les rochers, les dernières traces de pétrole de l’Erika ont été effacées par les vagues. Sauf qu’avec les pollutions plastiques en mer comme avec les pollutions à 8000 m, ça ne marche pas comme ça : les déchets sont pris dans des gangues de glace et on n’est pas près de les voir disparaître. C’est un congélateur là-haut ! Donc cette pollution est très ancienne ET très contemporaine. D’abord parce que les Népalais n’ont pas cette culture de redescendre les déchets, mais aussi parce que les Occidentaux n’ont qu’un objet en tête : leur survie. Donc ils sont indifférents à toutes les autres considérations. », explique l’alpiniste dépollueur.
Pourtant, dans la vallée de l’Everest, le SPCC – The Sagarmatha Pollution Control Committee – (Sagarmatha, c’est le nom de l’Everest en népalais), agit dans le parc national de Sagarmatha qui est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. « Le SPCC y a mis en place des systèmes de collecte de déchets tout le long des treks parce qu’il y a 40 000 personnes par an qui y vont. Donc il y a une vraie démarche dans cette zone-là. », poursuit Luc Boisnard qui pointe pourtant du doigt l’absence d’infrastructures partout ailleurs : « Sur ma zone de trek, dès les premiers jours, c’était une catastrophe le long des chemins parce que les gens jettent dans la nature. Il faut savoir qu’au Népal, qui est l’un des pays les plus pauvres au monde, la première préoccupation c’est de se nourrir. Alors l’environnement… ». Fin de mois et fin du monde… difficile de concilier écologie et économie.
A la fin des deux expéditions, en mai, Luc et ses équipes ont redescendu en tout 4 tonnes de déchets des deux sommets, dont environ la moitié était composée de plastiques.
« La pollution visuelle d’abord est dramatique. Quant aux déchets plastiques, ils craquent et se transforment hyper vite en microplastiques. » Des études menées en 2019 ont en effet trouvé des microplastiques à 8 400 m d’altitude, sur les pentes de l’Everest.
« Bientôt, je vais regarder de plus près un autre sujet, qui est sournois et insidieux, c’est la pollution de l’eau par les déjections humaines. Parce que quand on a 2 500 personnes sur un camp de base… ces gens-là doivent faire leurs besoins ! Même si maintenant c’est relativement bien géré – on fait les pipis sur le glacier mais on doit aller aux toilettes avec des sacs en plastiques pour les excréments. Tout ça est ramené par le SPCC et on paye 1 dollar/1,50 dollar le kilo de déchet qui est redescendu plus bas dans la vallée à dos de yak ou d’homme. Les excréments sont ensuite étalés notamment dans le village de Periche perché à 4 371 m. Sur le principe, on peut se dire que ça fait de l’engrais naturel, sauf que là-haut, tout le monde bouffe des corticoïdes, du Doliprane ou du Diamox (pour lutter contre l’insuffisance respiratoire ou le mal des montagnes) entre autres… Et tout ça se retrouve dans les déjections. Avec un tel tourisme de masse qui ne cesse de croître d’année en année, il est évident qu’une pollution des nappes phréatiques se crée. Je compte aller prendre des mesures scientifiques en partant du plus haut possible et étudier la qualité de l’eau au fur et à mesure que je redescendrai dans les villages et vers les rivières pour étudier l’impact. »
« Mon prochain projet c’est aussi de tenter le K2 au Pakistan (8 611m, deuxième sommet du monde, ndlr). Le camp II est très pollué car c’est une montagne très dangereuse et dès que ça ne va pas, les touristes se sauvent en courant en laissant leur matériel là-haut… Je connais quelqu’un qui va y organiser des opérations de dépollution. Je vais voir si en 2025 si je pourrai « compléter » ce qui a été entrepris. Je pense quand même retenter un 8 000 en 2025 car je suis un peu compétiteur dans l’âme et que c’est une expérience extraordinaire. », conclut l’infatigable globe-trotteur.
©Ouestacro-Chantier de l'Erika-1999 2001
©Ouestacro-Chantier de l'Erika-1999 2001
©Ouestacro-Chantier de l'Erika-1999 2001
©Ouestacro-Chantier de l'Erika-1999 2001