La science en alerte : à la recherche des déchets plastiques perdus
Science
14 octobre 2022
Britta Denise Hardesty, membre du Conseil Scientifique International de The SeaCleaners, lève le voile sur les idées reçues les plus répandues au sujet de la pollution plastique.
L’accumulation de déchets plastiques dans la nature est « l’un des changements récents les plus répandus et durables à la surface de notre planète » (Barnes et al, 2009). C’est aussi l’une des 5 principales préoccupations environnementales de notre temps selon l’ONU. Pourtant nous connaissons finalement peu de choses sur ce qu’il advient de ces plastiques.
Comment se déplacent-ils d’un point à l’autre ? Où s’accumulent-ils ? Comment pénètrent-ils dans les écosystèmes marins ? Peut-on les nettoyer et, si oui, comment ?
Britta Denise Hardesty, membre du Conseil Scientifique International de The SeaCleaners, lève le voile sur les idées reçues les plus répandues au sujet de la pollution plastique.
La chercheuse Dr. Britta Denise Hardesty travaille au sein du pôle Océan et Atmosphère de l’organisme national de recherche australien, le CSIRO (Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation).Elle est également membre du Conseil Scientifique International de The SeaCleaners. En octobre 2022, la BBC a titré “The secrets being revealed by ocean garbage patches”, un article qui fait écho aux travaux de recherches menés par la scientifique et son équipe et présentés à la 7ème Conférence internationale sur les débris marin qui s’est tenue à Busan, en Corée du Sud, du 18 au 23 septembre 2022.
Le point de part de Denise ? Résoudre l’insondable mystère du « plastique manquant », c’est-à-dire le rapport entre le plastique produit et les déchets que l’on retrouve à l’état sauvage dans la nature. Chaque année, environ 400 millions de tonnes de plastique sont produites, soit plus ou moins le poids de l’Humanité tout entière. 40% sont des produits jetables, notamment des emballages alimentaires, soit 160 millions de tonnes. On estime qu’ils sont jetés au bout d’un mois (Atlas du Plastique, 2020). 10% à peine sont recyclés, 14% sont incinérés, 40% environ partent en décharge, plus ou moins 32% finissent dans la nature et notamment dans les océans (id.).
32% de 160 millions, cela fait 51,2 millions de tonnes… dans la nature, dans les rivières, dans la mer, on ne sait trop où. Selon les différentes estimations, 9 à 14 millions de tonnes se déversent chaque année dans les océans. Certaines études avancent même le chiffre de 20 millions de tonnes. Où se trouve le delta ? Sous-estime-t-on la quantité de déchets qui finit par polluer les milieux marins ? Y a-t-il d’autres explications ?
Une nouvelle modélisation plus complète
C’est l’enquête que mène Denise et son équipe. Et, bien que de nombreuses questions subsistent sur le « plastique manquant », la bonne nouvelle est que l’on dispose désormais de plus en plus de données pour comprendre où aboutissent ces déchets, notamment un nouvel outil de modélisation qui permet de prédire la quantité de déchets que l’on va trouver sur les côtes.
L’apport de cette modélisation ? Elle ne prend pas uniquement en compte la densité de population, comme le faisait les modèles précédents. Elle considère également la distance entre les déchets mal gérés et abandonnés et l’embouchure de rivière la plus proche, la distance avec la route la plus proche, le statut socio-économique de la zone, la fréquence de visite des plages, la morphologie des plages, la couverture végétale de la zone, les données géographiques terrestres.
Pour le Dr Hardesty, il y a beaucoup d’idées fausses concernant les déchets que nous voyons dans l’océan : alors qu’à certains endroits, nous pouvons les voir flotter et stagner, à d’autres, les courants océaniques les emportent vers le large où ils s’accumulent dans des gyres océaniques, ces fameux « continents de plastique » (comme le « Great Garbage Patch » dans le Pacifique Nord).
Le Programme des Nations unies pour l’environnement estime que l’on trouve aujourd’hui entre 75 et 199 millions de tonnes de plastique dans l’océan, mais il est impossible de savoir avec certitude quelle proportion de ce plastique se retrouve dans les gyres, car une grande partie reste piégée près des côtes.
Coincés dans la végétation ou la zone littorale
Ce que les nouvelles données indiquent c’est que « la grande majeure partie des plastiques ou des déchets qui se perdent dans l’environnement ne vont pas jusqu’aux gyres océaniques (…) ». Si « la plupart du plastique ou des déchets qui se perdent dans l’environnement finissent par être piégés dans la végétation à terre », Denise ajoute que tous les déchets ne restent pas piégés sur la terre ferme, loin de là. Et précise : « parmi les centaines de tonnes d’ordures qui se frayent un chemin vers l’océan, les articles qui ont la flottabilité la plus importante peuvent encore traverser la zone littorale, qui s’étend sur environ 8 km (5 miles) à partir du rivage. À partir de là, une combinaison de vents, de courants et de vagues peut décomposer les déchets et les emporter à des milliers de kilomètres de leur point d’origine. »
« [Par exemple] nous savons que des objets ont été déplacés du Japon jusqu’à la côte ouest des États-Unis en moins d’un an après le tsunami [de 2011] ; de gros objets comme des motos et des docks flottants ont traversé l’océan Pacifique en un an, voire deux ans », explique-t-elle.
Agir à terre et en mer
Le ramassage des déchets plastiques directement à partir des gyres ou en haute mer est une tâche ardue. L’action la plus efficace consiste donc à réduire voire éliminer les déchets en amont, bien avant qu’ils ne puissent atteindre le large. Réduire la pollution plastique près des côtes et sur terre, dans les zones de haute concentration et avant la dispersion et la dérive des déchets, signifie au final moins de pollution pénétrant dans l’océan.
Chez The SeaCleaners, nous suivons de près les travaux de Denise qui nous éclairent sur les zones d’intervention de nos bateaux nettoyeurs de déchets : dans les rivières et les fleuves, le long des côtes dans la fameuse zone littorale, près des estuaires et des embouchures des grands fleuves, là où les nappes de pollution de l’environnement marin vont stagner et rester un temps concentrées. Mais ils nous rappellent aussi l’importance cruciale du nettoyage à terre près des zones littorales et des rivières, lors des clean-ups citoyens, de la prévention et de la sensibilisation pour éliminer le déchet à la source, et de la réduction drastique de notre consommation de plastique à usage unique.
Autant de combats que nous menons et continuerons de mener infatigablement, soutenus par nos bénévoles, notre Conseil Scientifique International, nos mécènes et nos partenaires.
Pour écouter Denise Hardesty parler avec passion de ses recherches et leurs enseignements, écoutez l’épisode 3 de notre podcast Les Déferlantes : « Pas sous nos yeux »