Traité international sur la pollution plastique : un consensus émerge à Paris
Pollution plastique
9 juin 2023
#INC-2 : si, comme nous, votre TL regorge d’organisations environnementales, vous n’avez pu passer à côté de ce mot-dièse sur les réseaux sociaux, entre le 29 mai et le 2 juin dernier. Mais c’était quoi au juste et quels en ont été les résultats ? On fait le point pour vous.
INC-2, suivez le guide
INC c’est l’acronyme de Intergovernmental Negotiating Committee, un mécanisme intergouvernemental de négociations qui a été mis en place à l’ONU en mars 2022, suite à une résolution historique, votée par 175 pays, de se doter du tout premier traité international juridiquement contraignant contre la pollution plastique (le Global Plastics Treaty, GPT).
Son mandat ? Organiser 5 sessions de concertations qui vont se succéder jusqu’en 2024 pour mettre au point ce texte.
La 1ère de ces sessions a eu lieu en Uruguay fin 2022 et la 2ème à Paris du 29 mai au 2 juin. C’est le fameux INC-2.
3 autres sessions auront lieu à Nairobi, au Kenya, en novembre de cette année (INC-3), à Ottawa, au Canada, en avril 2024 (INC-4) et, enfin, en République de Corée à la fin de l’année 2024 (INC-5). L’adoption définitive du texte et son entrée en vigueur auront lieu en 2025 dans un lieu à définir. Un calendrier resserré et exceptionnellement ambitieux pour un accord de cette envergure !
Le GPT est décrit comme l’accord environnemental le plus important depuis l’accord international sur le climat de 2015 (dit Accord de Paris, issu la COP21). Le monde produit près de 400 millions de tonnes de plastique par an ; on estime que 9 à 14 millions de tonnes s’échappent chaque année dans les océans. Il est de plus en plus admis que ce vaste problème international nécessite une réponse mondiale harmonisée.
L’objectif est élevé (et ô combien nécessaire !), la démarche admirable, mais le chemin pour y parvenir est houleux et pavé d’embûches.
En tant que membre de la Global Plastics Treaty Coalition, le groupe des ONG qui se sont constituées en Task Force pour peser sur les discussions, The SeaCleaners était à la table des négociations de INC-2, qui avaient lieu à l’UNESCO.
Nos espoirs et nos attentes à l’égard du GPT sont très élevés. A l’issue de ces 5 jours intenses, il apparaît évident qu’un traité ambitieux n’est pas acquis, bien au contraire. Les organisations de la société civile ne baisseront pas la garde jusqu’à la fin du processus. Pour connaître les positions que nous défendons, nous vous invitons à relire notre article du 16 mai dernier et à revoir notre vidéo d’explication sur les forces en présence.
On vous raconte dans cet article ce qu’il faut retenir de ce 2ème acte de discussions. Comme toutes les bonnes tragédies en 5 actes, c’est là que l’intrigue se noue !
Les avancées
Les délégués des 175 États-nations ont fait le premier pas concret vers un traité juridiquement contraignant pour réglementer le plastique, en réussissant à se mettre d’accord sur les éléments clés que le traité devrait contenir, jetant ainsi les bases du futur GPT :
- Il a été acté que cet accord sera mondial et juridiquement contraignant, plutôt que volontaire.
- Un mandat a été obtenu pour qu’un draft zéro du traité soit rédigé pour le prochain cycle de négociations INC-3 à Nairobi en novembre, ce qui promet un travail intersessionnel intense au cours de l’été !
- 94 des 180 nations présentes à Paris ont convenu que certains polymères, produits chimiques et produits en plastique particulièrement nocifs – qui pourraient inclure des microplastiques ajoutés intentionnellement et des PFAS (dits «polluants éternels») devraient être interdits ou éliminés progressivement.
- La vaste majorité des États présents ont déclaré être prêts pour un tel accord et volontaires pour mettre en place les réglementations mondiales et nationales sur les plastiques qui en découleront.
- Le traité traitera nécessairement des figures imposées de la lutte contre la pollution plastique :
– des mesures pour réduire la production et l’utilisation de plastique à usage unique ;
– des initiatives visant à encourager le recyclage et l’économie circulaire ;
– des dispositions pour la gestion responsable des déchets plastiques et la prévention de leur dispersion dans l’environnement
– une coopération internationale renforcée pour partager les meilleures pratiques et les technologies durables.
Ces avancées peuvent paraître ténues mais elles étaient loin d’être gagnées : les discussions ont débuté par de vifs désaccords sur la procédure, alimentées par un certain nombre de pays producteurs de pétrole et de plastique ainsi que par des lobbyistes des combustibles fossiles et de l’industrie pétrochimique. De nombreux groupes de la société civile et délégués nationaux ont dénoncé cette manipulation dilatoire qui a duré 2 jours, avant qu’un compromis permette de reporter ces discussions procédurales à une date ultérieure et d’avancer sur les sujets de fond !
Les déceptions / les points de vigilance
Un certain nombre de points essentiels n’ont pas (encore) été abordés mais on garde espoir et on restera attentifs :
- La demande de la société civile que l’objectif du traité soit « Zéro rejet direct dans l’environnement d’ici à 2040 » n’a pas été adopté, bien qu’il semble rallier des supporters parmi les délégués gouvernementaux.
- On ne sait toujours pas si le champ d’application du GPT portera bien sur l’ensemble du cycle de vie du plastique, de la production à l’élimination, et pas seulement sur la gestion des déchets marins, ce qui manifesterait une ambition croissante de s’attaquer au mal de la pollution plastique à sa racine. De nombreux pays ont appelé à une action allant au-delà de la réduction de la pollution par les plastiques, afin de freiner également la production. Les délégués des îles du Pacifique ont été les premiers à lancer ces appels, en raison du défi unique que représente le plastique pour des États tels que les îles Marshall. Celles-ci sont trop petites pour gérer et éliminer correctement les déchets plastiques, laissant des décharges montagneuses qui sont devenues les plus hauts sommets de l’archipel. Cette situation se retrouve dans de nombreux pays archipels, comme The SeaCleaners en est le témoin direct avec nos opérations en Indonésie.
- La possibilité d’aligner le Traité mondial sur la pollution plastique sur l’Accord sur le climat de Paris, c’est-à-dire plafonner la production de plastique à un niveau compatible avec un réchauffement de 1,5°C, a à peine été évoquée.
- Quid des mécanismes financiers, comme l’affectation d’une partie de l’aide au développement des États, pour soutenir la transition vers l’économie circulaire dans les pays en développement et protéger les droits des personnes exposées de manière disproportionnée aux produits chimiques et aux déchets plastiques ?
- La possibilité d’inscrire une responsabilité élargie du producteur, notamment dans les pays en développement, où les « pollueurs payeurs » pourraient financer des initiatives dans les territoires les plus vulnérables, a été éludée.
- Enfin, le mécanisme qui régira les objectifs du GPT n’est pas acté. S’agira-t-il d’un accord comme celui de Paris en 2015, définissant de vagues « trajectoires », ou bien un protocole multilatéral comme celui de Montréal de 1985 qui définissait des objectifs clairs et concrets (en l’occurrence l’interdiction progressive des CFC pour lutter contre le fameux « trou de la couche d’ozone ») ? The SeaCleaners est évidemment partisan de cette dernière option, synonyme d’efficacité à nos yeux.
Et la suite ?
A l’occasion d’INC-2, a été mise en place la Innovation Alliance for Global Plastics Treaty (IAGPT – rien à voir avec ChatGPT !!) dont The SeaCleaners est fier d’être membre.
Cette alliance, sous l’égide de rePurpose Global et The Ocean Cleanup, avec le parrainage de la Fondation de la Mer, rassemble les innovateurs actifs dans la lutte contre les déchets plastiques – startups, entreprises technologiques, investisseurs et philanthropes, visant à stimuler l’innovation vers zéro pollution plastique d’ici 2040.
L’IAGPT existe pour promouvoir le rôle de l’innovation, de la technologie et des solutions existantes dans les négociations du GPT et accélérer le changement des systèmes tout au long du cycle de vie de la pollution plastique, de la source à la mer.
Concrètement, nous défendrons quelques dispositions phares :
- Soutenir les solutions concrètes de collecte des déchets plastiques parmi le mix de solutions encouragées pour réduire les conséquences de la pollution plastique marine. Il s’agit non seulement d’espérer gérer la question de l’héritage des déchets plastiques, qui sont déjà dans l’eau et vont mettre des centaines d’années à se décomposer, mais aussi de donner à la société des perspectives positives d’amélioration de la situation à court et moyen terme ;
- Placer la recherche scientifique au cœur de la gouvernance du Traité afin de fonder les décisions sur des données objectives, harmonisées et partagées et encourager l’élaboration des politiques fondées sur des données.
- Défendre le rôle de l’innovation et des technologies solutionnistes dans le GPT et accélérer le changement des systèmes sur l’ensemble du cycle de vie de la pollution plastique, de la source à la mer ;
- Promouvoir la justice environnementale : donner la priorité à des opportunités économiques et d’emplois durables, en particulier au sein des communautés vulnérables, s’engager avec les communautés de travailleurs du secteur des déchets et promouvoir la valeur des connaissances locales pour accélérer la mise en œuvre de solutions innovantes tout au long de la chaîne de valeur du plastique, de la source à la mer ;
- Améliorer l’accès à un financement rapide et flexible pour les innovateurs tout au long de la chaîne de valeur, dans un contexte de lutte contre les déchets plastiques très sensible au temps ;
- Reconnaître, sauvegarder et promouvoir l’inclusion des innovations existantes dans les cadres réglementaires nationaux et mondiaux.
The SeaCleaners est honoré de faire partie de cet effort collectif unique visant à favoriser et à accélérer des solutions concrètes pour réduire considérablement la pollution plastique.