Date de publication 15 novembre 2021
Auteurs PNUE
Sources From pollution to solution - a global assessment of marine litter and plastic pollution
Résumé
[…] Cette évaluation décrit les impacts profonds des plastiques dans nos océans et à travers la planète. Les plastiques sont un marqueur de l’ère géologique actuelle, l’Anthropocène (Zalasiewicz et al. 2016). Ils ont donné leur nom à un nouvel habitat microbien connu sous le nom de plastisphère (Amaral-Zettler et al. 2020). Une prise de conscience accrue des impacts négatifs des microplastiques sur les écosystèmes marins et la santé humaine a conduit à les appeler un type de « Océan PM2,5 » en référence à la pollution de l’air (c’est-à-dire des particules de moins de 2,5 micromètres [μm] de diamètre) (Shu 2018). Avec une production mondiale cumulée de plastique primaire entre 1950 et 2017 estimée à 9 200 millions de tonnes et qui devrait atteindre 34 milliards de tonnes d’ici 2050 (Geyer 2020), les problèmes les plus urgents à résoudre maintenant sont de savoir comment réduire le volume des flux de déchets incontrôlés ou mal gérés se déversant dans les océans (Andrades et al. 2018) et comment augmenter le niveau de recyclage. Sur les 7 milliards de tonnes de déchets plastiques générés à ce jour dans le monde, moins de 10 % ont été recyclés (Geyer 2020). […]
L’évaluation vise à répondre à quatre questions clés pour aider à orienter les actions futures :
- Que peuvent nous dire les nouvelles recherches et preuves sur les impacts environnementaux et sur la santé humaine des déchets marins et de la pollution plastique ?
- Quelles sont les dernières connaissances sur les sources, les voies, le comportement et le devenir des déchets marins, en particulier les plastiques ?
- Quelles sont les approches de terrain, de laboratoire et de modélisation les plus efficaces pour la surveillance et la mesure des sources, des voies, du comportement et du devenir des déchets marins et de la pollution plastique
- Quelles réponses et actions en cours, technologies environnementales et solutions commerciales existent pour s’attaquer à ce problème mondial urgent ?
Lire l’intégralité du rapport du PNUE
Avis TSC
Contexte
Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) vient de publier le rapport « De la pollution à la solution – Une évaluation mondiale des déchets marins et de la pollution plastique ». The SeaCleaners, en amont de sa table ronde « An Abyss of Plastic Wisdom, A Solutions-Oriented Dialogue », qui fait partie du laboratoire de la Décennie des Nations Unies « Un océan propre », se propose d’examiner trois des enjeux abordés dans ce rapport, qui sont importants pour notre communauté. Toute la série sera basée sur ce dernier rapport d’évaluation du PNUE qui fait figure de référentiel sur la « sagesse plastique » dans le monde. Le présent texte est le deuxième de trois SeaView dédiés à l’analyse de ce rapport.
Introduction
Dans le premier SeaView de la série (1er novembre 2021), nous avons examiné d’où proviennent les plastiques océaniques .et pourquoi il est difficile de déterminer précisément combien se trouvent flottants / coulants / ou encore dégradés en microplastiques. Et en parlant de microplastiques, qu’entendons-nous exactement par Macro-Micro- ou Nano- plastiques ?
Le rapport d’évaluation du PNUE nous rappelle quelques définitions dont il faut toujours se souvenir quand on parle de débris marins.
Tous les déchets plastiques marins sont des débris marins mais tous les débris marins ne sont pas des déchets plastiques.
En effet, le rapport définit « les débris marins peuvent résulter d’activités sur terre ou en mer [et incluent] tout matériau solide anthropique, fabriqué ou transformé (quelle que soit sa taille) rejeté, éliminé ou abandonné qui se retrouve dans l’environnement marin (plastiques, métaux, verre, béton et autres matériaux de construction, papier et carton, polystyrène, caoutchouc, corde, textiles, etc.). De plus, les débris marins peuvent survenir à la suite d’une catastrophe naturelle et être transportés à des milliers de kilomètres de leur origine, comme le tsunami de 2011 au Japon qui « a rejeté environ 5 millions de tonnes de débris dans l’océan en quelques heures (Ministère japonais de l’Environnement 2012) ».
On estime que 80% de tous les débris marins proviennent de déchets plastiques (UICN).
La taille compte
C’est vrai, mais il n’existe pas de convention universelle sur la taille des débris. Ce que l’on appelle microplastique peut aussi bien être des morceaux de plastique de 50 à 500 μm, selon l’étude d’Andrady, 2011, que des morceaux inférieurs à 5 mm, tels que le définit Lusher et al. 2017.
Le rapport du PNUE a choisi la catégorisation proposée par Lusher et al., qui est :
Méga > 1 m ; Macro 25 mm-1 m; Méso 5 mm-25 mm et Micro < 5 mm.
The SeaCleaners a également choisi d’adopter la catégorisation de Lusher et al.
Les catégories les plus couramment utilisées sont les macro-, micro- et nano-plastiques, les nanoplastiques étant une sous-catégorie de microplastiques créés par la dégradation des microplastiques en plus petites tailles.
Lusher et al. est également allé plus loin et a défini les formes des débris plastiques, qui peuvent être utiles pour la classification et l’identification sur le terrain :
- fragments ou particules de forme irrégulière, cristaux, peluches, poudre, granulés, copeaux ;
- fibres/filaments, microfibres, brins et fils ;
- billes, microbilles sphériques, microsphères ;
- films/feuilles et polystyrène, mousses de polystyrène expansé ;
- granulés de résine, billes, granulés de pré-production, plumes
Vierge, recyclé, primaire, secondaire, de quoi parle-t-on ici ?
Rappelons que les plastiques sont des « polymères organiques synthétiques à propriétés thermoplastiques ou thermodurcissables (synthétisés à partir de matières premières hydrocarbonées ou de biomasse), des élastomères (ex. enduits et cordages (GESAMP 2019). De nombreux plastiques sont produits sous forme de mélange de différents polymères et de divers plastifiants, colorants, stabilisants et autres additifs. La plupart des plastiques peuvent être divisés en deux catégories principales : les thermoplastiques (pouvant être déformés par chauffage), qui comprennent le polyéthylène, le polypropylène et le polystyrène ; et les thermodurcissables (indéformables), qui comprennent le polyuréthane, les peintures et les résines époxy ».
Certains plastiques sont qualifiés de « vierges », c’est-à-dire créés à partir de matières premières, par opposition aux matières recyclées, qui contiennent une partie de plastiques vierges qui ont déjà été utilisés auparavant soit dans le même type d’objets, soit dans quelque chose de complètement différent. Par exemple, de plus en plus de fibres plastiques pour vêtements sont fabriquées à partir de PET recyclé.
Tous les plastiques vierges ne sont pas des macroplastiques, certains microplastiques sont vierges et sont alors classés comme microplastiques primaires. Ces microplastiques sont « fabriqués avec une fonction spécifique en tête (Cole et al. 2011), comme certains produits cosmétiques, par exemple des billes de plastique appelées nurdles ou des pastilles utilisées dans les sites de fabrication ». Les microplastiques qualifiés de secondaires proviennent de la dégradation de pièces plus grosses, soit par détérioration lors de leur utilisation, soit par dégradation dans l’environnement, comme le précise le rapport. Tous les nanoplastiques à l’heure actuelle sont secondaires, ce qui signifie qu’ils ont été dégradés à partir des microplastiques (eux-mêmes primaires ou secondaires).
Dégradation
Enfin, la notion de dégradation des plastiques est le processus qui les casse, détériore, décompose, etc. du fait de plusieurs contraintes : la plus courante est l’effet des rayonnements UV (photodégradation) qui fragilisent les plastiques et par conséquent les fragmentent. Au final, après dégradation complète, les plastiques se décomposent en CO2, eau, méthane, hydrogène, etc. La photodégradation est rendue plus difficile en raison de l’environnement liquide dans lequel se trouvent les plastiques marins, mais d’autres phénomènes peuvent se produire comme un processus mécanique (vagues). Les bactéries peuvent également dégrader les plastiques. Ce mécanisme, appelé biodégradation, est généralement lent. Récemment, une étude a démontré que d’autres organismes (krills) pouvaient dégrader les microplastiques après ingestion et digestion en nanoplastiques (Dawson et al. 2018).
Outre la décomposition physique en plus petits morceaux, la dégradation des plastiques peut affecter leur densité et leur flottabilité à mesure que ses composants internes sont altérés. C’est ainsi que certains plastiques peuvent couler alors que leurs propriétés de départ les faisaient flotter.
Alors pourquoi la dégradation des macroplastiques en micro et nano est-elle un gros problème ? Loin des yeux, loin du cœur ?
De nombreux problèmes proviennent du fait que les macroplastiques se dégradent en morceaux de plus en plus petits.
Premièrement, il y a la libération de toxines dans l’environnement. La plupart des plastiques sont composés d’un mélange de divers plastifiants, colorants, stabilisants et autres additifs, mais la composition n’est souvent pas connue ; ce sont ces additifs ou le résultat de leur dégradation qui sont libérés quand le plastique se fractionne. Les scientifiques et certains praticiens (professionnels de la gestion des déchets) demandent aux fabricants d’étiqueter les plastiques afin que tous les composants soient connus et que les études tout au long du cycle de vie des plastiques, jusqu’à leur fragmentation, soient possibles et des méthodes définies. Cela aidera grandement l’efficacité de la gestion des déchets car le produit entrant dans la chaîne de gestion est souvent méconnu, ce qui entraîne de nombreux défis pour une élimination appropriée. Même problème avec les « plastiques biodégradables » dont on ne sait pas grand-chose en raison d’un manque de réglementation ferme sur ce qui est biodégradable. Les consommateurs pensent à tort que le terme biodégradable signifie que jeter ces plastiques n’est pas bien grave car ils se dégraderont dans l’environnement sans conséquences néfastes. Sans compter qu’habituellement cette biodégradabilité n’est pas testée en milieu marin, ce qui ajoute à la complexité de l’ensemble.
Le même problème concerne les matériaux recyclés, car on sait très peu de chose sur la composition réelle des matériaux vierges ou même recyclés. Le tout est davantage complexifié par la réutilisation de plastiques récupérés dans l’environnement sans connaissance de leur niveau de dégradation, et rebaptisés « plastique océanique », « plastique marin », « plastique lié à l’océan » ou encore « plastique de plage » à des fins purement marketing (voir notre vidéo « Savoir décrypter les termes du marketing » pour en savoir plus sur ce sujet).
Très bien, mais quels sont les effets sur la biodiversité ?
L’effet des macroplastiques semble évident. Ils perturbent l’équilibre d’écosystèmes fragiles, comme les mangroves qui sont des systèmes majeurs de séquestration du CO2. Et nous connaissons malheureusement tous ces images atroces de tortues, de phoques et autres animaux marins empêtrés dans des filets fantômes ou mourant de faim, le ventre plein de débris plastiques. Davantage d’études doivent cependant être menées pour vraiment comprendre l’étendue des interactions entre la pollution plastique, la faune et les écosystèmes marins. Les problèmes s’accumulent en effet avec les microplastiques, mais nous ne le voyons pas. Comme les macroplastiques, les microplastiques interagissent avec d’autres types de formes de vie, notamment le plancton. Aussi appelés producteurs primaires, ils sont confrontés à un problème croissant au fur et à mesure que la présence de microplastiques dans l’océan augmente (concentration plus élevée qu’on ne le pensait par le passé). Le zooplancton ingère des microplastiques mais l’effet est mal connu. Et le problème s’accroît au fur et à mesure que nous remontons la chaîne alimentaire, avec des concentrations élevées de microplastiques relevées parmi les espèces prédatrices (saumon, etc.).
Alors, qu’en est-il de notre santé pour nous, les humains ?
Là aussi, d’autres études sont nécessaires pour bien comprendre l’ensemble des phénomènes liés à notre ingestion de plastique, à travers notre alimentation (notamment via les fruits de la mer), l’inhalation car des particules de plastique se retrouvent dans l’air que nous respirons, ou à travers nos boissons (eau, bière, etc.). Des études ont montré que les microplastiques peuvent être transférés tout au long de la chaine alimentaire. Elles ont également démontré que les micro- et nano-plastiques sont connus pour concentrer des toxines à leur surface ainsi que des bactéries ou des virus. Cependant, la plupart des études sont réalisées en laboratoire alors que sur le terrain, il est beaucoup plus difficile de quantifier et de caractériser les micro- et nano-plastiques. Ce qui est vrai dans un contexte peut ne pas l’être dans un autre. Enfin, les études relatives à l’effet des plastiques constituent un nouveau champ de recherche et comme de nombreuses recherches naissantes, nous manquons de méthodes standardisées pour détecter, quantifier et caractériser ces plastiques du fait d’une variété dans les niveaux de dégradation, les formes et les tailles, ainsi que la diversité des couleurs, qui peuvent changer en fonction du niveau de dégradation du composant d’origine. Tout ceci rend les études difficiles et constitue un frein à notre compréhension de la façon dont ces matériaux interagissent avec notre santé.
Ce qui est clair, c’est qu’il est urgent de se consacrer davantage aux études sur la question des déchets plastiques marins dans l’océan, en particulier sur les effets sur la chaîne alimentaire des micro- et nano-plastiques, car les conséquences sont encore méconnues et peuvent s’avérer désastreuses.
À partir de l’année prochaine, The SeaCleaners soutiendra la recherche collaborative sur les macro- et microplastiques dans les cours d’eau et le long des côtes indonésiennes. Alors que le MOBULA 8 et son équipage commenceront à réhabiliter un site à Bali, des microplastiques seront collectés et les données relatives à la caractérisation des plastiques collectés contribueront aux connaissances scientifiques des équipes locales. Nous espérons que cet effort de collaboration soutiendra les gouvernements locaux dans la définition de leur politique publique, ainsi qu’une meilleure compréhension de la spécificité de ce site à des fins de sensibilisation.
Restez connecté.es pour le prochain SeaView et suivez notre table ronde le 19 novembre !
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